Papier brisé
Il s’est assis, face à face avec sa feuille, avec cette envie de
mordre et ce besoin…
Aligner des mots de rupture. Il s’en veut, mais il ne sait faire que
ça. Il en veut tellement, il en voudrait encore, mais rien n’y fait…
Depuis une heure, il sent cette petite idée brutale prendre le contrôle
de ses mains, de ses oreilles, de ses yeux. Et plus rien n’existe
autour de lui, sinon cette volonté de frapper les points sur les
« i ».
Il a tourné en rond dans sa maison, il est sorti, il est rentré. Il
n’est allé nulle part, il n’a qu’un seul but : tout envoyer promener.
Le voyage se termine, au bout de la ligne, une dernière lettre. Elle
n’attend que lui.
C’est son rôle, envers et contre lui-même, il va tout
casser.
Il a pris la plume, du bout des doigts, comme s’il craignait de se
salir les mains.
«
Adieu »
«
Tu n’existes plus »
«
Je te quitte »
«
Pars »
«
Oublie-moi »
Toujours changer de lame. Pour les même larmes.
Vont-elles pleurer sous
cette pluie de mots cinglants ? Se douteront-elles qu’il se tord de
douleur, les yeux brumeux ?
Le c½ur écartelé, son âme au bord des lèvres, il rêve de s’envoyer
faire voir. Chaque critique, chaque coup de poignard dans le dos !
Combien il souhaiterait sentir leur morsure.
Bien fait pour moi, bien
fait pour moi.
Mais le mal écrit, le mal est fait. Ses mots, ses cris, ses mots
l’effraient. Le tour est joué, il n’a pas perdu la main. Les mots
poisons coulent sur le vélin. Les lettres sont bleues comme un mensonge,
il les voit rouges comme un crime prémédité, il les sait noires comme
un deuil fatigué.
C’est fait. Le cachet est scellé. Il fixe ce monstre qui lui ressemble
trop. Un amour fracassé sur un rivage maudit, par un naufrageur honteux...
mais libre.
Au fond de son âme, le prédateur sensuel et froid ouvre un ½il.
Plus profond encore, le bourreau, manipulateur et névrosé, aiguise sa
plume…